Opinion - 15 novembre 2021
Ecrit par Bertrand Piccard 3 min de lecture
Le clap de fin aura été gâché par la claque de la fin, cette exigence indienne et chinoise de dernière minute de remplacer les mots « abandon du charbon » par « diminution du charbon ». Les larmes du président de la conférence en disent long sur la déception des participants après deux semaines de négociations ardues et montre aussi que l’intention des organisateurs était sincère. On peut bien sûr en rester là pour déclarer qu’on savait déjà que cette COP serait un flop. Ou même regretter que la recherche d’un compromis a minima ait été préférée au fait de rejeter cette déclaration finale insuffisante. Car les participants auraient pu choisir une autre stratégie : refuser de sortir un document final, assumer un véritable échec pour provoquer l’électrochoc nécessaire et repartir sur de nouvelles bases.
On doit cependant aller au-delà des apparences. Il est tellement plus intéressant de se pencher sur le contexte général que de garder les yeux rivés sur les clivages. Les gouvernements indiens et chinois n’ont pas beaucoup de marge de manœuvre, question préservation des emplois et lutte contre la pauvreté, quand il s’agit de leur approvisionnement énergétique. C’est pour cela qu’il faut absolument se concentrer sur la rentabilité économique de cette transition climatique. On sait maintenant que les solutions existent et j’espère beaucoup que la rencontre à laquelle le premier ministre indien Narendra Modi m’a convié à New Dehli permettra d’en implémenter quelques-unes.
Nous pouvons aussi nous demander qui sommes-nous pour leur donner des leçons ? La Suisse a refusé cet été une loi CO2 en votation populaire et le gouvernement français vient d’être condamné par le Conseil d’Etat à 10 millions d’euros d’amende pour mauvaise gestion de la qualité de l’air ! Il est tellement plus facile de voir le problème chez les autres et de les accuser pour faire oublier le mal qu’on fait à son propre niveau.
Alors n’oublions pas que la moitié de la pollution asiatique est en réalité la nôtre, délocalisée à l’autre bout du monde pour fabriquer ce dont nous avons besoin chez nous. Ce sont leurs industries qui ont remplacé les nôtres. Savez-vous que 90% de tout ce que nous achetons en Europe a au moins un composant qui vient de Chine, et qui, de plus, est transporté par avion ou porte-containers pour nous parvenir. Pourquoi ? Pour gagner sur nos achats quelques centimes qui seront de toute façon reperdus en allocations de chômage pour ceux qui auront perdus leurs emplois ici…
Alors, si nous voulons vraiment faire disparaître l’utilisation du charbon asiatique, à nous, citoyens, de consommer différemment. Achetons moins, mais mieux, et plus local, que ce soit la nourriture, les appareils électroniques, les habits, les produits chimiques. Gardons nos achats plus longtemps. Arrêtons de gaspiller. Et pour ne pas paraître injuste, rappelons-nous que l’Europe brûle aussi du charbon, à commencer par notre voisin allemand.
N’attendons-pas que les autres fassent des efforts, montrons l’exemple ! Trois quarts de l’énergie produite dans le monde au moyen de charbon, de pétrole et de gaz, sont perdus par l’inefficience des infrastructures démodées que nous utilisons encore, ou gaspillée par des comportements inadéquats, comme le chauffage ou la climatisation excessives, et le poids excessifs de nos voitures. C’est énorme, et relativement facilement évitable par des mesures d’efficience énergétique comme la rénovation des bâtiments et des chauffages, des processus industriels et agricoles et le passage à la mobilité électrique qui nécessite trois fois moins d’énergie au kilomètre qu’avec des moteurs thermiques. Nous devons pour cela soutenir nos gouvernements dans l’introduction de législations et de standards écologiques ambitieux qui inciteront véritablement à une révolution climatique.
Ce retour introspectif aura le mérite de nous faire passer de la dépression face aux problèmes au désir d’agir et de mettre en œuvre les solutions.
Si nous relevons la tête du guidon, nous constaterons aussi que jamais aucune COP n’avait encore désigné nommément les énergies fossiles comme la cause des changements climatiques, que jamais encore autant de pays n’avaient décidé de se passer de la recherche d’unanimité pour former des coalitions contre la déforestation, les émissions de méthane, le financement des ressources fossiles à l’étranger. Jamais encore autant de villes et de régions n’avaient pris de mesures durables, jamais autant d’entreprises privées ne s’étaient entendues pour adopter des règles écologiques dans leurs fonctionnements et leurs financements. La frustration causée par la lenteur des négociations internationales pousse les acteurs locaux à agir.
Tout cela ne serait pas possible s’il n’y avait pas de Conférences onusiennes sur le Climat.
Publié en premier dans La Tribune et le quotidien suisse Le Temps.
Ecrit par Bertrand Piccard le 15 novembre 2021